Ernest-Marie Mbonda est Professeur d’éthique à l’Université des Montagnes (Cameroun), à l’Université catholique d’Afrique centrale (Cameroun) et à l’Université de Moncton (Canada). Dans ce blog, il propose quelques réflexions sur les obligations envers les générations futures. Vous pouvez lire ce blog en Anglais ici.
Deux problèmes
Le thème des obligations à l’égard des générations futures se heurte à au moins deux problèmes : un problème conceptuel : comment définir la notion de « génération » et jusqu’où s’étend le futur des « futures générations » ; un problème normatif : comment déterminer si nous avons des obligations à l’égard des futures générations et quels seraient la nature et le contenu de ces obligations.
On a là un certain nombre de questions aussi complexes les unes que les autres, que l’on trouve dans les débats éthiques et politiques contemporains sur la justice intergénérationnelle. Les problèmes écologiques qui sont devenus de nos jours un enjeu éthique important contribuent à raviver ces questions en visant en particulier les générations futures.
Nous proposons ici quelques arguments philosophiques, que nous étayerons avec quelques exemples des savoirs et normes tirés de l’Afrique traditionnelle.
Définir la notion de génération future
Il n’y a rien de plus indéterminé que la notion de génération future. Selon une approche « courtermiste », le futur ne va pas au-delà de nos descendants qui coexistent avec nous : fils, petits-fils, arrière-petits-fils, en sachant que jusqu’à quatre générations sont susceptibles de coexister dans la même trame temporelle.
Selon une approche longtermiste, celle qui domine dans les traditions africaines, la chaîne intergénérationnelle est beaucoup plus longue et s’étend à l’infini, dans un futur indéterminé et indéterminable. La chaîne intergénérationnelle relie ses différents éléments dans une certaine continuité historique qui détermine la nature des relations entre ces éléments en relativisant la notion de proximité ou de contiguïté entre les générations.
Ainsi, je ne suis pas moins proche de mes petits-fils et arrière-petits-fils que de mes fils directs, même si, en pratique, c’est d’abord par rapport à ceux-ci que m’incombent un certain nombre d’obligations immédiates. Je suis autant obligé à l’égard des petits-enfants que je ne vois pas, que je ne verrai peut-être jamais (parce qu’ils ne sont pas encore nés) qu’à l’égard de ceux qui sont déjà là.
La conception longtermiste des liens intergénérationnels permet d’éviter les impasses dans lesquelles on s’enlise quand on veut déterminer les limites exactes qui séparent les différentes générations et les obligations intergénérationnelles.
Déterminer et justifier les obligations à l’égard des générations futures
L’une des stratégies les plus simples pour déterminer et justifier nos obligations à l’égard des générations futures consisterait à poser, dans le cadre d’une dialectique droits/devoirs, que les générations futures ont des besoins, des prérogatives, des droits dont la garantie dépend de nous. Les générations actuelles ont la responsabilité / l’obligation de ne pas priver les futures générations d’un certain nombre de prérogatives dont l’effectivité dépend d’elles. Chaque génération possède des besoins et des droits. Les droits qui ne peuvent être satisfaits que par les autres générations créent des créances à l’égard de celles-ci et les placent dans une situation de débitrices.
Quant à la question du contenu de ces obligations, elles se résument en général à la culture (patrimoine culturel, scientifique, moral), aux biens (patrimoine économique) et à la terre (l’environnement, le climat…) La terre fait aujourd’hui partie des enjeux les plus importants, avec la question du réchauffement climatique. Dans les traditions africaines, cet enjeu se ramène à la formule : le droit de vivre sur la terre et vivre de la terre.
La terre comme un don
La terre, avec toutes les richesses qu’elle contient, est considérée comme un don de Dieu aux humains. Elle leur fournit leur lieu d’habitation et de la nourriture pour subsister. Le droit à la terre renvoie donc d’abord au droit d’accéder à ce sans quoi on ne saurait où habiter, ni comment se nourrir pour survivre.
La terre est une res communis, un bien qui appartient à l’ensemble de la communauté. Ici on ne parle pas de « tragédie des biens communs », mais d’une caractéristique qui permet de protéger la terre de toute entreprise prédatrice. Le fait par ailleurs de considérer la terre comme un don de Dieu contraint chaque génération à exploiter celle-ci en s’assurant que les futures générations pourront elles aussi « vivre sur la terre et vivre de la terre ».
‘Ne soit pas le maillon défectueux’
En fin de compte, c’est le lien vital unissant les différentes générations qui fonde les obligations strictes que les générations ont les unes à l’égard des autres. Il s’agit, pour chaque génération, de ne pas briser la chaîne et, surtout, de ne pas fonctionner comme un maillon défectueux. La position de chaque génération définit ses obligations à l’égard des autres générations.
Le contenu de ces obligations est déterminé par les besoins, les prérogatives, les droits de chaque génération, dans la mesure de ce que nos connaissances actuelles sur l’existence humaine permet d’anticiper, en exerçant ce que le philosophe Hans Jonas a appelé « responsabilité prospective ».
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Photo par Syahrin Seth de Unsplash